Ogasawara Katsumi

Il y a si longtemps déjà que cette vie ancienne est presque floue. Le gamin qu'il était et qui ne voulait qu'avoir ses deux frères près de lui. Celui qui ne semblait jamais être assez fort, assez puissant, assez intelligent. Celui qui tentait simplement d'avoir l'affection de son jumeau et l'appréciation de son grand frère. Le rejeton, le vilain petit canard. À croire que son dévouement pour Lilith n'avait jamais été assez, qu'il ne serait jamais en mesure de réussir quoique ce soit. Celui qui aimait l'odeur des cerisiers et les journées ensoleillées. Celui qui a pleuré la perte de sa moitié, qui à dit adieu à sa mère, qui a vu son frère se jeter corps et âme dans une magie terrifiante, mais surtout qui a vécu la crainte d'une première mort.

Penser à cette vie, c’était des pensées rivées vers ses frères perdus depuis trop longtemps déjà. Un jumeau cherché pendant des heures, des jours, des mois et même des années, fixant chaque visage pour y trouver ces yeux comme les siens, ce visage qu'il connaissait par coeur, de devoir accepter qu'il n'était plus et de faire son deuil. Et ce grand frère qui semblait toujours là pour lui, malgré tout, une silhouette dans la brume, l'aidant à se diriger dans ce monde terrifiant. Tout n'était pas rose, loin de là, mais il pensait souvent à eux et les aimait. Des frères si différents, séparés par la haine, alors que le jeune sorcier avait tenté à maintes reprises de les ramener vers lui, d’avoir cette relation fraternelle dont il a souvent rêvé. Des années passées à les tirer tant bien que mal l'un vers l'autre, les appeler, mais sans succès; ils ne lui avait probablement jamais porté attention, ou du moins jamais entendu, alors qu’il ne faisait que crier désespérément leur nom encore et toujours, restant à l'arrière-plan. Les mains tendues pour attraper les leurs, alors que leurs doigts semblaient toujours hors de portée.

Des pensées pleines de joies, d'horreur et de tristesse. Entre le bonheur d'être auprès d'un visage familier suite à la mort de leur mère, l'horreur de voir tout le sadisme et la violence dont son grand frère faisait preuve envers des gens qui, il espérait, devaient au moins le mériter. Et la tristesse, cette tristesse profonde de la perte d'un frère, bien que loin d'avoir une relation positive entre eux, un frère pour qui il avait beaucoup d'amour quand même. Puis la fin de cette première vie se passant dans l'ère d'Edo. Des secrets perdus dans le passé.


Son frère était celui qui attirait les regards. Avec raison; Kaname était élégant, doué, intelligent, tout ce que son frère ne semblait pouvoir être. Il assistait, silencieux, aux prouesses du plus vieux, se contentant d’être là lorsqu’on le lui demandait. Après tout, cette vie, il ne l’avait eu que grâce à son ainé qui avait su convaincre pour garder son petit frère près de lui. Il se devait d'être reconnaissant, se pliant aux moindres désirs de l'aîné pour le remercier. Cette vie avait surement été celle qu’il avait le moins apprécié. Il passait la majorité de son temps le nez dans les livres à tenter de s’instruire seul, gardant ses questions sans réponses pour ne pas embêter Kaname. Et alors que le plus vieux s’élevait dans les rangs, autant auprès des geishas que du clan, le plus jeune n’était là que pour faire joli, et encore. Les fleurs décorant certaines salles attiraient bien plus l’oeil que le jeune homme se glissant silencieusement sur les tatamis, évitant d’être sur le chemin de quiconque, tournant en rond et attendant son heure, mais surtout tentant de passer inaperçu. Leur banquet final de cette vie fût un plaisir; savoir qu’enfin il voyait la fin de ces années où il n’avait été qu’une partie du décor.

« ...Et enfin, cette troisième. La dernière que je voudrais vivre, si cela signifie mourir à tes côtés et ne plus jamais te quitter. »
Abandonné. Il s'était finalement retrouvé seul. Sa plus grande peur, enfin réalisée. Jamais il n'avait su ce qui était arrivé à son jumeau et cette fois c'était son frère aîné qui partait, décapité par un vampire. Ils l'avaient fait, la seule chose que Katsumi leur avait demandé de ne jamais, au grand jamais, faire; le laisser derrière, seul. Il n'avait pas su quoi faire, traînant des pieds dans un décor qui lui semblait trop peu familier. Est-ce que Kaname reviendrait un jour? Sa mort avait été violente après tout. Il errait dans trop savoir, ne sachant plus trop où aller, qui aller voir. Son frère avait bonne réputation au sein du clan, mais lui n’était que l’ombre qui suivait et n’avait pas vraiment fait sa place. Y avait-il seulement une place pour lui dans cette vie? Et dans celles d’avant?

Des pensées bien sombres, le suivant sans cesse alors qu’il cherchait le siège qui était sien. Et il croisa la route de la personne qui lui offrit une place à ses côtés; une jeune femme magnifique, douce, amicale. Qui lui avait jeté un seul regard avant de lui offrir à manger et un endroit où dormir lorsqu’il n’avait plus rien. Un nom doux, digne d’une magnifique mélodie résonnant à ses oreilles. Il lui était redevable et lui rendit tous les services qu’elle lui demandait, en échange de sa bonté et sa gentillesse. Une sorcière qui décorait sa maison de fleurs et de plantes, laissant le soleil s'immiscer entre les feuilles pour projeter des rayons aux teintes verdâtres sur leur idylle qui commençait doucement. Un amour dont le point culminant était cette nuit, sous la pleine lune, dans la forêt d’Aokigahara au pied du Mont Fuji.

Et alors que les yeux de Katsumi ne quitte plus ceux de celle qui deviendra bientôt sa femme, ils se remplissent doucement de larmes, ému. Leurs mains jointes, liées par des cordes fines aux couleurs éclatantes. Un cercle autour d’eux, une famille nouvelle, qui l’avait accueilli à bras ouvert. Et des voeux de mariage, des promesses, mais surtout un amour inconditionnelle pour celle qui était arrivée au bon moment, alors que lui avait eu la chance de cette troisième vie pour la trouver.


Ramené à la vie. La fin d'un rêve. Quand il ouvre les yeux, c'est avec une larme qui roule le long de sa joue, le sentiment d'avoir le corps vide, comme si il lui manquait quelque chose d'important, d'essentiel. La chaleur d'une main, d'un amour qui lui avait redonné un souffle qu'il n'avait plus, et le froid d'une alliance qui n'était plus là où elle devait se trouver. Une présence qui semblait disparue, séparée de lui par la mort. La plus belle chose qui pouvait lui arriver, à jamais perdue dans le passé, remplacée par un retour douloureux à la réalité. Une quatrième vie, un coeur brisé, et une haine sans fond. alors que son regard se posait sur ce frère qui avait osé le laisser derrière et qui, maintenant, venait de l’arracher à tout ce qu’il aurait voulu garder.