Hayashi Kazuo - You can call me monster

À mon réveil aujourd'hui, je sais. Cette sérénité, cela me parait être une éternité qu'elle ne m'a pas embrassé de la sorte. Il ne me faut pas autant de temps pour m’extirper de mon lit, m'activant à me récurer sous le jet bien chaud. Ce sont dans les détails, les gestes anodins où se trouve le meilleur moyen de profiter de la vie, d'admirer sa force et sa beauté comme dirait un certain magicien blanc d'une trilogie célèbre. Bon, en réalité, la fin a été adaptée à ma sauce, afin de mieux correspondre à mon état d'esprit. Après avoir tiré les rideaux, je constate avec effroi l'état de mon appartement. Quelle porcherie. Peut-être est-ce idiot, de vouloir remédier vu le changement qui s'approche, mais j'ai besoin de profiter de ma dernière vie en tant que l'humain Hayashi Kazuo. La présence dans ma location ne semble pas hostile à mes gestes, alors je continue. Une bonne heure a été nécessaire, jetant plusieurs sacs de déchets aux ordures de l'immeuble. C'est quand-même plus clair, non ?

Cet état me rend l'appétit. Mes cheveux, eux, doivent être coupés et ma barbe mal rasée aussi, alors j'appelle mon coiffeur et prend rendez-vous. Au pire, si j'échoue, mon allure ne ressemblera pas à rien. Je range dans une boite ma planche, mes recherches, mes ouvrages sur le spiritisme. Personne ne doit savoir ce qu'il s'est passé entre ses murs, à l'abri des regards. Ayant de la chance, le rendez-vous est donné dans une heure, de quoi me donner le temps de me rendre dans le magasin. Élégant, je ne m'attarde que peu sur ma vie, contrairement à d'habitude. Être en extérieur, vulnérable, ne me panique ni me m'angoisse. Une seule idée me trotte dans la tête, mon ventre est tellement affamé que je mangerai bien un éléphant. Choisissant un restaurant à volonté, mon corps apprécie de retrouver un peu de ses forces. Alors que je marche ensuite dans les rues, toute cette agitation, les travailleurs de la ville, les étudiants, c'est encore un film se déroulant sous mes yeux auquel je continue de ne pas participer.

Déambulant toujours, je me mets inconsciemment à visiter les endroits que j'affectionne dans certains quartiers de la ville. En milieu d'après midi, je parviens à me trouver une place sur un banc du parc Ueno. Mon corps abîmé apprécie la chaleur du soleil. Puis il est temps de rentrer, arrêtant mon périple dans le kombini non loin de mon domicile. Mes placards remplis, mon frigo à moitié, je passe plusieurs heures à jouer à mes jeux mythique, tout en grignotant, comme un dernier hommage à toutes ces années passionnées par les jeux en tout genre. Ensuite, je n'oublie pas de payer mes factures, mon loyer, même si cela fait un moment que je n'ai pas donné de nouvelle à la police, certains de leurs effectifs sont clairement à désirer... L'un d'entre eux est responsable des nombreuses os brisés lors d'une violente agression, il ne sera jamais question de pardonner. Ma vie aurait pu prendre fin cette fois-là. Cela a été le geste de trop, le sentiment de vengeance n'est pas prêt de disparaître.

Le dîner a été préparé par mes soins, il n'est pas d'actualité de ressortir. La peur s'empresse d'envahir mon être, mais elle n'est pas aussi puissante que mon impatience. Allongé dans mes draps propres, j'ai l'air prêt à dormir, ce ne sera pas le cas, mon regard demeure rivé sur le plafond. Mes pensées m'entraînent dans différents souvenirs de différentes époques de mon existence. Je me demande si mes amis, mes membres, mes connaissances et ma famille vont m'en vouloir de leur tourner le dos. Je n'ai pas très envie de les revoir avant, et même après. Notre fratrie est grande, je me suis très  souvent senti peu à ma place, ma mère a compensé leur manque d'attention. Pourtant, j'avais aussi tout fait pour avoir le droit à mon appartement durant mes études. Le visage de mon meilleur ami, avec son doux sourire, il serait sûrement un des rares qui me manquera avec Akihito et Jun. Je ne veux blesser aucun d'entre eux. La prudence voudra que je ne les approche pas, ne sachant pas quelle association le démon et moi-même allons devenir.

Alors que je commence à me demander si c'est pour bientôt, je sens l'air devenir plus chaud. C'est assez étrange, en général les démons arrivent dans le froid glacial, mais pas mon colocataire. Mon cœur se serre, mon corps se tend, je me redresse assis dans mon lit. Sa silhouette se tient là, au coin de la chambre, « Crève ou survis. Prouve que tu es digne de me recevoir. » Dit-il d'une voix étrange et railleuse. Ensuite, un grand feu se tient devant mes yeux et, avant de pouvoir prononcer le moindre mot, de faire le moindre geste, il me percute et pénètre mon corps. Pour la première fois, je suis éveillé, je le sens. Les murs sont recouverts par des flammes d'une drôle de couleur, sauf que c'est le cadet de mes soucis, elles gagnent tout l'immeuble. Le contact me fait m'embraser aussitôt, Me serais-je trompé ?

Aucun son n'arrive à sortir de ma bouche, pourtant je crie, hurle, roule et appelle à l'aide, personne ne semble m'entendre. Le feu se propage très vite dans tout l'immeuble, ne donnant pas plus de chance aux rares voisins présents. Ma peau part en morceau, mes vaisseaux deviennent de l'histoire ancienne à certains endroits. Mes larmes se sont vite évaporées, la douleur est si forte. J'ai mal. Si mal. Que quelqu'un arrête ça... Je n'en peux plus... Le moment me paraît durer des heures, cette torture insoutenable, ma chair brûlée et à vif, les nécroses, c'est bien trop. Je vais mourir, il n'y a pas d'autres issue et tombe dans l'inconscience. Le résultat a pourtant été un succès. Mon démon se relève, il est seul aux commandes et sans barrière magique canalisant ses pouvoirs. Pourtant, les faiseurs  de magie sont là, prêt à nous cueillir. Parfait. Pas sans se battre un peu. Un combat s'engage entre nous et eux, qui fera des victimes. Mon corps n'a pas supporté jusqu'au bout l'utilisation de magie démoniaque. C'est la raison de notre capture, bien qu'elle est au programme depuis le début.

Entre les blessures anciennes mal traitées et les brûlures, mon corps a été dans un très mauvais état. Il a nécessité des séances de soin quotidienne durant plusieurs semaines dans un coma artificiel, prodigués par Katsumi. Cela m'a coupé de pas mal d’événements récents, comme l'attaque du Matsuren. Dommage, ça aurait été fun de regarder des sorciers et des loups crever. J'espère qu'on aura de nouveau l'occasion de refaire la fête, comme un barbecue géant la prochaine fois . En attendant, il va me falloir la jouer plus fine, si je veux qu'on me laisse plus de liberté. Surtout que je sers à rien dans l'absolu, alors autant me donner une occupation, De toute manière, il me reste à apprendre à manier mes nouveaux pouvoirs, Je connais le professeur idéal. Ce sera l'occasion de montrer que j'ai survécu. Enfin, dans l'absolu, laissez-moi pioncer encore un peu. Je l'ai bien mérité après tout ce bordel.