Inoue Mitsuo [ 悲鳴 ]

Pleurs résonnants au petit matin, brisant la quiétude de la neige tombant paresseusement. Neuvième enfant de la fratrie, petit corps chaud enroulé dans une couverture pour qu'il n'attrape pas froid, on comprend vite que cette enfant sera là pour se faire entendre au vue du niveau sonore de ses plaintes. Grandissant aimé et chéri, tout comme le reste des enfants de la famille, bien vite rejoint par le dixième l'année suivante, accueilli avec affection et une petite jalousie refoulée devant ce cadeau que le benjamin a reçu.

Exclamations de joie, se pourchassant entre deux corvées. Nombreux camarades de jeu, enfants grandissants avec le travail et les responsabilités de la classe sociale, Mitsutoshi est une boule d'énergie impossible à arrêter, que même la nuit tombée ne pouvait ralentir. Il avait appris rapidement à se mettre debout et à détaler, plus rapidement qu'un lièvre, explorant chaque recoin de leur maison, des terrains avoisinants, parcourant les rizières alors que la journée se terminait et forçant sa mère à l'appeler tard dans la nuit pour le forcer à rentrer, lui racontant parfois même ces histoires d'horreurs simplement pour l'empêcher de se mettre dans de mauvaises situations.

Protestations dans l'obscurité de la soirée, frissonnements à l'air frais et humide d’une grotte éloignée de la maison. Quelle idée de s'aventurer ainsi? Malgré son unique année de plus que ce frère si précieux à ses yeux, c'est un ton sévère qu'il essaye de prendre, mais rien n'y fait; il est fier de lui et reconnaissant pour cette aventure, ce morceau de corail rougeoyant au creux de sa main, fièrement présenté par celui qu’il a toujours appelé son préféré. Sourires échangés, c’est en chemin qu’ils se mettent lorsque le prédateur dérangé chez lui décide de leur apprendre une leçon, les forçant à fuir en direction approximative de la maison, le plus vieux attrapant le poignet du plus jeune. Le retour ne sera pas sans complications, cheville retournée et épuisement, mais quand ils rentrent à la maison, c’est une aventure qu’il n’oublieront probablement pas - surtout pas après cette engueulade reçue de leur mère.

Lamentations à mi-voix à chaque perte, le défi de la vie mettant obstacles après obstacles sur la route de la famille. Frères comme soeurs, parfois parti trop tôt, parfois mariée bien vite, ou tout simplement porté disparu, laissant derrière un des plus jeunes, serrant contre lui la pierre lisse avec tristesse. De lents au revoirs et des moues de déception, perte après perte qu'elle soit joyeuse ou déchirante. Alors que l'adolescence fait ses ravages, c'est un amour timide qui fleurit lors des nuits de printemps, mais sans rien de plus. Plus jeune encore présent de la famille, il s'occupe des parents et prévoit continuer le chemin qui est le sien, tranquillement, jusqu'à finir vieux comme il se doit, espérant mariage et enfants à son tour, avant que ses rêves ne rencontrent le voile épais de l'obscurité, après un échange hasardeux entre lui et le Créateur imposant.

Plainte étouffée dans l’obscurité, mains tendues à l’aveuglette. Les doigts effleurent, cherchent, s’enfoncent dans la terre. L’incompréhension suivit de l’horreur alors qu’un murmure près de l’oreille attire l’attention. Ce n’est qu’une fois libéré que le verdict tombe et que la renaissance s’entame aux côtés de cet amour de printemps qui en a fait la demande à l'homme rencontré plus tôt, sans lui laisser le choix. Les explications ne l’enchantent pas, encore moins sa nouvelle nature, et il s’éloigne de Kôfu pour ne jamais y retourner.

Bruissements de vêtements dans la nuit noire et pas feutrés, c'est un duo subtile qui s'enfonce dans la noirceur des couloirs de ces maisons richements décorés. Le plus jeune avait insisté de ne pas priver les gens les moins riches de leur possessions, conscient de l'importance de chaque objet chez ces familles pour avoir lui-même fait partie de cette classe sociale. Doigts effleurant l'objet de sa convoitise, les pupilles se dilatants devant la brillance et la texture lisse, ils s'emparent de leur trésor et filent déjà, les rumeurs de leurs exploits les suivants de village en village.

Sanglot à mi-voix dont il s’éloigne, après presque deux cents trente-six ans à se suivre partout, il était temps de voler de ses propres ailes. Amour à sens unique pour elle, acceptant de souffrir en silence, il était surpris qu’elle l’ait supporté si longtemps. Inutile de garder ce poids qui l’empêchait de faire ce qu’il voulait, aller où son coeur le portait. Une fois fait à sa nouvelle situation, deuil de son ancienne vie accepté, c’est le voyage qui faisait battre son coeur, curieux de découverte et amoureux de connaissance, volage depuis sa plus tendre enfance, seulement accompagné d'un souvenir de sa famille au fond de sa poche. Si l’éternité l’attendait, aussi bien en faire ce qu’il voulait, découvrant une vie que sa classe d’origine ne lui aurait jamais permis.

Clameur de guerre et rugissement d’armes, éviter la confrontation est le plan qu’il décide de suivre. Solitaire, il se trouve un endroit tranquille, après des dizaines d’années à explorer ce que sa contrée avait à offrir. Deux fois ce petit manège de fuite, évitant de se retrouver soldat à ces deux batailles à l’échelle mondiale, vivant en visiteur loin de son pays natale, laissant le japonais en pause pour apprendre le mandarin. Évitant les années du premiers gros combats, la seconde fois c’est avec la résistance qu’il avancera et tombera.

Hurlement à glacer le sang, résonnant dans les couloirs stériles, couper court par un coup de scalpel aux cordes vocales. Une douleur aiguë, au point où il aurait peut-être préféré la mort à cette souffrance, ces tests, cet endroit. S’il était un prédateur redoutable, ils avaient trouvé sa faiblesse avec l’argent et profitait du lever du soleil pour restreindre son corps alors que ce dernier retrouvait son état inanimé, l'enchantement quittant ses membres. Une expérimentation parfaite, guérissant chaque coupure, chaque blessure. Numéros greffés sur son bras, simple objet de l’Unité 731, rapport secret sur cet être inconnu des humains, voués à être détruit dès qu'il sortirait d'ici. Si ces tortures ne furent que quelques années de sa longue vie, c’est des cicatrices qui ne s’effaceront jamais de son esprit et une haine profonde envers ces hommes qui sont les vrais monstres qui le suivront pour toujours.

Hoquet rassuré entre deux pleurs, la rencontre d’une famille nouvellement formée suite à la guerre. Incertitude envers ses confrères, paranoïa, violence, un mouvement brusque  et le voilà qui se jette sur le premier coupable comme si sa survie en dépendait. La loi du plus fort, avait-il décidé, ne serait-ce que pour le bien de sa survie. Entre la crainte des nouveaux arrivants et la satisfaction d’une famille, c’est un équilibre incertain sur lequel repose la suite de son éternité, entre protection et manipulation.

Grognement ennuyé alors qu’il répète l’ordre, usant de contrainte plus puissante, récitant de nouveau les paroles que sa marionnette favorite devrait répéter. À croire que le cerveau du millionnaire fondait au fil du temps, écrasé par une force surnaturelle auquelle il ne pouvait résister. Regards jetés à la dérobée aux fenêtres immenses de l’appartement de cette humain lui servant de couverture, c’est d’un mouvement de main qu’il l’envoie s’occuper d’affaire, reportant son attention sur le téléphone entre ses doigts. Ces humains n’étaient que de vulgaires mouches inutiles, tout juste bonnes à nourrir les membres de son clan. Enfin, presque tous, pensait-il en répondant à ses messages.